Le devoir de surveillance est un
sujet de préoccupation constant en psychiatrie, où son défaut
engage une responsabilité professionnelle qui peut paraître inéluctable
en cas d’incident.
En réalité, plusieurs types de
responsabilités sont à différencier pour appréhender le problème :
-
La responsabilité civile, qui vise à obtenir la réparation
financière d’un préjudice. En établissement public de santé, cette
responsabilité est quasi-exclusivement celle de la personne morale,
représentée devant les juridictions par son assureur en
responsabilité civile. La responsabilité civile individuelle des
professionnels ne peut être engagée qu’en cas de faute grave
détachable du service, c’est donc une situation extrêmement rare².
Dans les établissements de santé privés, la responsabilité est
celle de la personne morale ou celle d’un professionnel de santé.
-
La responsabilité pénale d’un professionnel ou du chef
d’établissement, engagée lorsqu’est reconnue la commission d’une
infraction pénale prévue par la loi (ex : mise en danger de la vie
d’autrui, homicide involontaire,…). Très rares, mais fortement
médiatisés, ces cas ont un impact considérable sur les
représentations des professionnels de santé qui craignent très
fortement ce type de procédure.
-
La responsabilité sur le plan disciplinaire ou ordinal
S’agissant de la responsabilité
civile de l’établissement, le principe est celui dicté par
l’article L.1142-1 du code de la santé publique, qui précise que «
hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un
défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé
mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout
établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des
actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont
responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention,
de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. »
Le régime de présomption de faute
ne s’applique pas aux fautes en raison d’un défaut de
surveillance, la faute doit être prouvée par le demandeur
devant le juge.
De nombreux cas de mises en cause
d’établissements de santé, publics ou privés, alimentent une
jurisprudence abondante, notamment pour défaut de surveillance dans
le cadre du suicide d’un patient. Malgré la diversité des
juridictions concernées, on peut relever plusieurs critères
régulièrement retenus par les juges pour apprécier l’existence d’une
faute, en général qualifiée de faute dans l’organisation et le
fonctionnement du service dans la jurisprudence administrative.
I.
Il n’y a pas faute si l’acte suicidaire était imprévisible.
Pour apprécier la prévisibilité de l’acte, le juge va s’attacher à
vérifier les antécédents suicidaires, le comportement actuel de la
personne et la connaissance des antécédents par les professionnels
de santé. Ainsi, la cour administrative de Bordeaux a-t-elle pu
considérer, dans son arrêt du 4 février 2003, consorts B. contre CH
C. Perrens, que les antécédents et le comportement du patient à son
admission ne révélaient pas un état nécessitant des mesures de
surveillance constante, et qu’en conséquence, ne constituait pas
une faute le fait d’avoir laissé le patient sans surveillance
quelques instants ni la circonstance qu’il ait pu détruire le
chassis de la fenêtre et décéder en sautant par celle-ci.
De la même façon, n’est pas jugé
fautif l’établissement dans lequel un patient admis en soins libres
a escaladé le grillage d’un clôture, puis un pylône voisin et a
fait une chute de huit mètres de hauteur dans la mesure où il est
constaté que son geste était imprévisible et ne justifiait donc pas
de prendre des mesures de surveillance particulières (cour
d’administrative d’appel de Nancy, 1er juillet 2013, CHI de
haute-Comté).
La cour de cassation, dans sa
décision du 22 septembre 2016, relève enfin que la clinique qui n’a
pas constaté de symptômes laissant présager la survenance d’un
risque suicidaire et en l’absence d’antécédents suicidaire chez la
patiente qui s’est défenestrée, n’a pas commis de faute (cour de
cassation, 1ère ch. Civ., 22 septembre 2016).
II. En
revanche, lorsque l’acte suicidaire était prévisible, et tout
particulièrement en cas d’antécédents récents de tentatives de
suicide, l’établissement est soumis à une obligation de moyen
renforcée. Dans ce cas de figure, les
exigences des juges pour caractériser la faute sont beaucoup plus
fortes à l’égard des établissements de santé.
En effet, le juge tant judiciaire
qu’administratif va s’attacher à vérifier les mesures
particulières de surveillance prises, c’est-à-dire le
renforcement du nombre de passages infirmiers, le type de chambre
mis à disposition et sa localisation dans l’unité de soins, les
mesures de retrait d’objets dangereux sur le patient ou dans la
chambre, la sécurisation des espaces communs et des accès… Il
appréciera également les traitements médicamenteux
spécifiquement prescrits, et éventuellement le nombre
d’entretiens médicaux et paramédicaux menés avec le patient avant
le geste suicidaire.
Le juge retiendra par exemple que
le fait que le patient a été laissé sans aucune mesure de
surveillance dans une chambre individuelle dépourvue de système de
sécurité et qu’il a pu se pendre au rideau de la chambre (une heure
après son installation en chambre) est constitutif d’une faute
(Cour d’administrative d’appel de Marseille, 17 juillet 2012, CH
Edouard Toulouse). De la même manière, est fautif le seul fait
d’avoir laissé seul un patient pendant une heure dans la chambre
avec, à sa disposition, la sangle du sac de sport de son voisin de
chambre, malgré des mesures prises en matière de traitement et de
retrait d’effets personnels à risque (coupe-ongle, ceinture) (Cour
administrative d’appel de Marseille, 12 mars 2012, CH H. Guérin).
Est également fautif
l’établissement qui a provisoirement laissé sans surveillance
pendant une heure et demie un patient en vue de sa toilette, en lui
restituant provisoirement une partie de ses affaires, lui ayant
permis de se suicider par pendaison, alors même qu’il avait pris
des mesures particulières par ailleurs : prescription d’un
traitement renforcé, placement en chambre seule à proximité du
bureau infirmier, retrait des effets personnels (cour
administrative d’appel de Nantes, 30 juin 2016, CH Charcot)
Plus récemment, la cour d’appel
de Grenoble a considéré qu’était fautive la clinique qui n’avait
pas pris de mesures de surveillance particulière pour empêcher les
sorties sans autorisation de la patiente au niveau du portail alors
qu’elle présentait un risque suicidaire et qui ne s’est pas assurée
de la prise du traitement par la patiente (cour d’appel de
Grenoble, 20 juin 2017). La cour d’appel de Versailles retient la
même appréciation de faute en considérant qu’est défaillant
l’établissement qui a laissé momentanément ouverte l’issue de la
cour pour travaux, sans surveillance, et sans s’apercevoir de la
disparition d’un patient présentant des risques connus pendant
environ trois heures (cour d’appel de Versailles, 22 juin 2017).
Dans la plupart des affaires
citées, l’on pourra noter que le régime de l’hospitalisation semble
finalement assez indifférent, puisque la majorité des
reconnaissances de responsabilité concernent des patients qui
étaient hospitalisés en soins libres.
Quelques exemples montrent que le
juge, bien qu’effectuant une application de plus en plus stricte de
l’obligation de moyen qui pèse sur les établissements, ne retient
pas la faute de façon systématique, en raison de la survenance-même
du dommage.
En effet, la cour d’appel d’Aix
en Provence ne retient pas la responsabilité de la clinique qui, en
raison d’un risque connu d’autolyse, a pris des mesures de sécurité
renforcées, tant en matière de retrait des effets dangereux que
dans les prescriptions médicamenteuses et dans un suivi et des
entretiens très réguliers, complets et tracés au dossier (cour
d’appel d’Aix en Provence, 14 novembre 2007).
De la même façon, la cour de
cassation considère que le centre hospitalier, où était hospitalisé
le patient en soins à la demande d’un tiers présentant un risque
avéré de passage à l’acte, a néanmoins pris des moyens sérieux et
réellement renforcés, en mettant en place une surveillance
régulière tracée, une prescription médicamenteuse adaptée, un
isolement dans une pièce fermée et aménagée, un suppression
d’objets divers dangereux. En définitive, l’établissement n’est pas
reconnu responsable du décès par suicide de la patiente qui s’est
strangulée à l’aide de son drap en chambre d’isolement. La cour de
cassation motive particulièrement sa décision en précisant
utilement que la surveillance infirmière n’a pas à être
constituée d’une présence permanente, que l’absence de
contention ne peut être reproché en l’espèce sans motif médical et
qu’on ne peut retenir comme fautif le fait d’avoir laissé la
patiente en possession du minimum nécessaire au respect de la
dignité humaine, en l’espèce une chemise de nuit et des draps
(cour de cassation, 13 décembre 2012).
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