La Brève Juridique
du Centre Hospitalier de Cadillac

2ème TRIMESTRE 2017

 

FOCUS : La contestation des mesures restrictives de liberté

 

 

La loi du 5 juillet 2011 a consacré le juge judiciaire, "garant des libertés individuelles",  comme le juge de référence pour la psychiatrie, devenant à la fois compétent tant pour contrôler le bien-fondé de la mesure de soins sans consentement (autrement dit sa nécessité et sa conformité aux critères légaux constitutifs) que pour vérifier la régularité formelle de la mesure.

Cette réforme a été mise en place après la condamnation de la France par la CEDH le 18 novembre 2010. La CEDH a en effet constaté l’ineffectivité des recours juridictionnels en France pour obtenir une mainlevée fondée sur l’irrégularité d’une mesure. La loi du 5 juillet 2011 a donc mis fin à la dualité de juridiction préexistante en France en matière de soins sans consentement, où le juge administratif était compétent pour contrôler la régularité de la mesure alors que le juge judiciaire en vérifiait le bien-fondé et statuait sur les indemnités (cf Conseil d’Etat, 18 mars 2005).

La loi du 5 juillet 2011, mise en œuvre pour cet aspect le 1er janvier 2013, a donc eu le mérite de clarifier et de simplifier ce contentieux pour les patients, et de permettre un traitement rapide des situations par le juge des libertés et de la détention. Néanmoins, elle a déplacé le problème de la dualité de juridiction sur les décisions médicales prises dans le cadre de l'exécution des mesures de soins sans consentement. En effet, le juge administratif reste le juge de droit commun pour contester une décision administrative prise par un établissement public hospitalier. La question du juge compétent pour traiter des sujets  liés à l'exécution d'une mesure de soins sans consentement, sans relever stricto sensu du bien-fondé ou de la régularité de la mesure elle-même, reste d’actualité.

LE PERIMETRE DE COMPÉTENCE DU JUGE ADMINISTRATIF :

En établissement public de santé, la compétence du juge administratif s’étend du contentieux de la responsabilité (recours en réparation pour l’indemnisation d’un préjudice) au contentieux de la légalité d’une décision administrative autre qu’une mesure de soins sans consentement (recours en annulation).

Par un arrêt du 21 mai 2015, la cour administrative d’appel de Marseille s’est considérée compétente pour statuer sur les conditions de déroulement d’une hospitalisation, en l’espèce les conditions de séjour en chambre d’isolement d’un patient hospitalisé sans son consentement. Elle reconnait en définitive un manquement du centre hospitalier lié à des conditions de séjour indignes et retient la responsabilité de l’établissement.

D’autres décisions judiciaires tendent à réserver au juge administratif la compétence pour statuer sur le bien-fondé d’un traitement médical imposé dans le cadre d’une mesure de soins sans consentement (cf cour d’appel de rennes, 28 septembre 2012).

 

LE PERIMETRE DE COMPÉTENCE DU JUGE DES LIBERTES ET DE LA DETENTION :

Le juge des libertés et de la détention intervient de son côté pour toute contestation par un patient du bien-fondé de la mesure de soins sans consentement et/ou de sa régularité formelle, à l’occasion de son contrôle systématique ou dans le cadre d’une requête individuelle du patient ou de l’un de ses proches. Le juge judiciaire statue également sur les conséquences dommageables résultant de la reconnaissance par le JLD du caractère injustifié ou irrégulier de la mesure. Il faut toutefois noter que le recours à cette dernière possibilité est très peu fréquent dans la pratique.

Le Conseil d’Etat, juge suprême de la juridiction administrative, dans une ordonnance du 16 juillet 2012 renvoit vers le juge judiciaire la compétence pour apprécier de la nécessité d’un traitement médical prescrit dans le cadre d’une mesure de soins sans consentement. Ce faisant, le juge administratif considère que la décision d’administrer un traitement médicamenteux contre la volonté du patient est indissociable de l’exécution de la mesure de soins sans consentement, et que l’appréciation de la nécessité de cette décision relève donc de la compétence du juge judiciaire (ce que le juge judiciaire saisi par la suite de la même affaire n’a pas confirmé, laissant là le requérant dans un vide juridique).

A l’occasion de deux arrêts du 24 octobre 2016 et du 16 juin 2017, la cour d’appel de Versailles a par ailleurs reconnu la compétence du juge judiciaire pour statuer sur la régularité d’une mesure d’isolement prononcée dans le cadre d’une mesure de soins sans consentement. Constatant l’irrégularité de la mesure d’isolement au regard des exigences du nouvel article L.3222-5-1 du code de la santé publique (issu de la loi de modernisation de notre santé du 26 janvier 2016), le juge en déduit la mainlevée de la mesure de soins sans consentement.

Dans ces décisions, le juge judiciaire s’estime donc pleinement compétent pour statuer sur la légalité d’une décision de mise à l’isolement d’un patient au titre de son rôle de garant des libertés individuelles. Cependant, il ne peut qu’en déduire la mainlevée de la mesure et n’est pas compétent pour en prononcer l’annulation (cf Cour de cassation, 11 mai 2016). Notons au passage que le choix du législateur du terme de « décision » d’isolement, plutôt que celui de « prescription » dénote sa volonté de rendre cette mesure susceptible de recours devant un juge, ce dont le juge versaillais s’est emparé dans ces arrêts novateurs, et à ce jour isolés.

Faut-il y voir une conception extensive de la compétence du juge judiciaire ? S’agit-il d’une décision d’espèce ou sera-t-elle confirmée par un arrêt de la Cour de cassation ?

Quel est donc réellement le juge compétent pour connaître de la contestation d'une mesure d'isolement ou de contention, ou de celle d'une restriction de visite ou de téléphone, ou plus largement de toute mesure restrictive de liberté mise en place dans le cadre d’une mesure de soins sans consentement ?

Les jurisprudences divergentes au sein même des juridictions tant administratives que judiciaires démontrent qu'un arbitrage reste à réaliser. Cet éclairage est indispensable pour les patients afin de leur offrir des voies de recours effectives ; il est également nécessaire pour les  établissements psychiatriques chargés d’informer les patients des voies de recours à leur disposition, notamment lors de la mise en place d’une décision d’isolement ou de contention.

 

Actualité Documentaire


Recommandations de bonne pratique « isolement et contention en psychiatrie générale », Haute autorité de santé, février 2017

Le recours aux mesures d’isolement et de contention en psychiatrie est un sujet très sensible, d’une part d’ordre légal et éthique vis-à-vis du respect des libertés individuelles, du rôle et de la fonction des intervenants, de la légitimité de ces mesures, de la sécurité du patient et de celle d’autrui, et d’autre part d’ordre clinique et organisationnel vis-à-vis de la qualité de la prise en charge, de la pertinence des mesures et de leur impact, des conditions de mise en œuvre et des moyens disponibles.

Depuis plusieurs années, diverses autorités attirent l’attention sur les recours aux mesures d’isolement et de contention, considérant que leur usage n’est pas toujours motivé par des raisons thérapeutiques et qu’il convient de les encadrer.

Cette recommandation de bonne pratique vise à déterminer la place de l’isolement et de la contention en psychiatrie, dans les services de psychiatrie générale, et ainsi permettre aux professionnels de santé amenés à recourir éventuellement à ces mesures d’améliorer et harmoniser leurs pratiques tout en répondant aux exigences cliniques, légales, éthiques et organisationnelles (notamment, aider la prise de décision dans le choix des soins, réduire les recours aux mesures d’isolement et de contention).


Deux fiches de synthèses sont également mises à disposition par la HAS :

-          Fiche de synthèse : Isolement en psychiatrie générale

-          Fiche de synthèse : contention mécanique en psychiatrie générale

La HAS propose enfin des modèles de fiches de surveillance.

 

Veille législative & réglementaire

 

Circulaire du 15 mars 2017 relative au respect de la laïcité et de l’obligation de neutralité par les agents publics.
La circulaire précise le sens et la portée du principe de laïcité et de son corollaire l’obligation de neutralité. Elle présente également les nouveaux outils de formation, de communication, de conseil et de veille mis en place pour permettre aux agents publics d’exercer leurs fonctions dans le respect de ces obligations.


Décret n° 2017-816 du 5 mai 2017 relatif à la médiation sanitaire et à l’interprétariat linguistique dans le domaine de la santé.
Le décret a pour objet de préciser la définition de la médiation sanitaire et de l’interprétariat linguistique dans le domaine de la santé. Les référentiels de compétences, de formation et de bonnes pratiques sont en cours d’élaboration par la Haute Autorité de Santé (HAS) qui en est chargée.


Instruction DGOS/R4/DGS/SP4/2017/109 du 29 mars 2017 relative à la politique de réduction des pratiques d’isolement et de contention au sein des établissements de santé autorisés en psychiatrie et désignés par le directeur général de l’ARS pour assurer les soins psychiatriques sans consentement.

L’instruction vise à préciser les modalités de mise en œuvre du registre prévu par l’article L.3222-5-1 du CSP (issu de l’article 72 de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016) dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné pour assurer les soins psychiatriques sans consentement ainsi que l’utilisation des données au sein de chaque établissement, aux niveaux régional et  national pour le suivi de ces pratiques.

 

Décret n°2017-415 du 27 mars 2017 relatif aux modalités d’information de la commission des usagers sur les évènements indésirables graves associés aux soins.

Le décret précise les conditions dans lesquelles la commission des usagers est informée des événements indésirables graves associés aux soins, dans le respect de l'anonymat des patients et des professionnels de santé, ainsi que des actions correctives mises en place par l'établissement pour y remédier. Le décret détermine le délai dans lequel le représentant légal de l'établissement informe la commission des usagers. Il précise également le contenu de l'information transmise à la commission des usagers.

 

 

Veille jurisprudentielle

 


Cour de cassation, 15 juin 2017

La Cour casse la position de la cour d’appel de Versailles (11/10/2016 et 09/12/2016) selon laquelle une mesure SDRE ne pouvait être initiée par un médecin non psychiatre de l’établissement. La cour de cassation adopte une interprétation littérale de la loi et rejoint l’ancienne position du conseil d’Etat de 9 juin 2010.

 

Conseil d’Etat, 17 mars 2017

Suite au recours d’une association demandant l’annulation de l’article 4 du décret n°2016-94 du 1er février 2016 relatif aux unités pour malades difficiles, le Conseil d’Etat rejette la demande  et précise qu’eu égard aux mesures de sécurité particulières imposées et à l’éventuel éloignement important de l’établissement d’origine, les décisions préfectorales d’admission en UMD ou de refus de sortie d’UMD doivent pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel (sans toutefois préciser devant quel juge), et de l’assistance d’un avocat lors de l’exercice de ces recours.

Le patient ou l’un de ses proches peut également se faire assister ou représenter par un avocat pour saisir la commission du suivi médical en vue d’obtenir une décision préfectorale de sortie d’UMD.

 

Cour d’appel de Versailles, 3 février 2017 

A la suite de la mise en place d’une mesure en cas de péril imminent, l’hôpital doit être en capacité d’établir la preuve devant le JLD de l’impossibilité d’obtenir une demande d’un tiers. Le certificat doit en outre caractériser l’existence d’un péril imminent en précisant en quoi les troubles du patient mettent sa santé en danger.

 

Cour administrative d’appel de paris, 16 février 2017 

Sauf urgence ou impossibilité, le recueil du consentement est obligatoire même si l’intervention est indispensable. Il revient à l’établissement hospitalier de prouver l’existence du consentement éclairé du patient pour les actes le nécessitant (une preuve écrite avec signature du patient semble attendue par le juge).

 

 

 

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Direction de la publication : Raphaël BOUCHARD, directeur
Rédaction : Florence HITIER-BRANDEL, juriste



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